Pour souad mani
commencé le 18
avril 2014,
dans le cadre d'un
travail en chemin
Photos SOUAD MANI
(..) C.R. : Ce n’est pas la perception matérielle, ce n’est pas non plus
notre imagination. Pour moi, le double du réel c’est plutôt l’illusion.
L’imagination n’est pas du tout contraire au réel, tandis que ce qui est
illusoire, c’est le double. Autrement dit, la forme la plus fondamentale de
l’illusion n’est pas l’imaginaire. Pour moi, l’imagination est effectivement la
faculté de doubler, de manière fantasmatique, le réel. J’admire chez l’homme la
faculté anti-perceptive. Par cette faculté, l’homme peut voir par exemple un
verre d’eau et dire que c’est une poupée. Je suis très étonné par cette étrange
faculté humaine !
Ainsi notre personnalité pousse, grandit, mûrit sans cesse. Chacun de ses
moments est du nouveau qui s’ajoute à ce qui était auparavant. Allons plus loin
: ce n’est pas seulement du nouveau, mais de l’imprévisible. Sans doute mon état
actuel s’explique par ce qui était en moi et par ce qui agissait sur moi tout à
l’heure. Je n’y trouverais pas d’autres éléments en l’analysant. Mais ce qui n’a
jamais été perçu, et ce qui est en même temps simple, est nécessairement
imprévisible. Or, tel est le cas de chacun de nos états, envisagé comme un
moment d’une histoire qui se déroule : il est simple, et il ne peut pas avoir
été déjà perçu, puisqu’il concentre dans son indivisibilité tout le perçu avec,
en plus, ce que le présent y ajoute
C’est un moment original d’une non moins originale histoire.
Henri Bergson, L’évolution créatrice, 1908
.
Je la reconnais cette route, je t’y retrouve, posée, absente, mais
infiniment là, dans ce bleu qui te ramènes à l’orée de ton vrai voyage.
Là où tu reviens toujours, où que tu sois.
Là où se penchent les herbes, vers là où la brise respire.
Comme un espace reconnu, déjà oublié mais toujours reconnu.
Un signe d’enfance toujours présent. Un moment d’interlude que tu
reconnais, comme les vitraux d’un temple, les colonnes, les arcades, les dunes,
l’art des mosaïques des murs, les rivages. Les arbres. Temples vivants qui
redisent leur force intouchable.
Nous sommes porteurs de ce monde légendaire, né avant nous-mêmes, apparu
dans le langage de nos ancêtres qui parlaient déjà de notre venue, de nos
premiers pas, de leurs prochains gestes à travers nous.
Depuis des milliards d’années la transmission s’est faite, de la première
cellule à nous, qui cherchions la mer dans ses rythmes, qui entendons encore son
pas dans le flot.
Sa respiration.
Déjà vu, devant un lieu, une forêt, un chemin, un geste, un regard, qui
nous ramène à cet espace imaginaire qui se perpétue, toujours ; impermanents
mais aussi enraciné à l’orée de nos souvenirs
Transformés, toujours bousculés par les flots de monde, par les rires
malvenus, par les sourires indécidables, par les gestes surs. Et nous allons,
vers cet espace.
Intime. Connu de nous seuls, où la nature s’apaise, où ce qui se dit est
protégé, entouré, adouci par la clarté de l’air, par la douceur du bleu.
Sur cette route, Souad, tu as dû retrouver les esprits/pensées de tout un
siècle, les murmures de tous les conciliabules, puis d’un coup, peut-être, ce
silence frais qui répare.
Nous sommes emportés dans les gravitations de l’univers, venus d’on ne sait
quel geste et commencement ? Et nous partageons nos méandres avec l’ami, le
proche, l’étranger même, qui habite cette terre qui se déploie dans un
scintillement indéfini. Si proche.
Nous ne trouvons jamais cette réalité qui serait fixe, indestructible,
juste une impermanence vivante qui grandit, déploie ses ramures, enfouies et
libérées, autres murmures et expériences que le chemin bleu-nuit révèle.
Au-delà du réel, toujours dans une réalité auto prophétisée, toujours
parcourus par la poésie du moment, à l’affut d’une parole venue de je ne sais
quel arbre, de quelle fontaine, nous parcourons le monde, lisons les auteurs
qui nous précèdent qui cartographient les lignes de fuite et de sens…
Avançons.
Et regardez ce bleu, cette route qui invente ses futurs à mesure, mais à la
fois redit l’instant. Recommence le paragraphe d’un livre aimé et
reconnu.
Regardez ce bleu et ce chemin qui s’y engage ; s’y perd. Y renait. Délivre
ses joies silencieuses comme le chant d’un santour.
Comme le son d’un Luth, Comme la voix d’un passant retrouvé.
Et il y a cette étincelle, toujours, ce mouvement capté qui nous signifie
en nous faisant signe. Comme une réponse toujours attendue et toujours reconnue.
Jamais nommée… Juste frôlée…
Et cette route de terre et de feu, de force et de lumière qui absorbe les
orages et protège les brindilles, parfois.
Parfois aussi, se déchainent les ouragans de l’interrogation.
Laissons alors passer ces doutes trop déchirants, juste laisser se
faufiler les questionnements qui auréolent le jour d’un miracle toujours se
faisant.
Le doute impalpable qui éclaire et ouvre des passages nouveaux. Géographies
fractales et toujours renouvelées .
Souad, je te parle directement, parce que ces mots retournent vers,
retrouvent ce chemin que tu as déjà parcouru et je t’y reconnais, je
crois.
Longtemps après, dans ce présent indécidable indiscernable qui déracine les
concepts pesants.
Il y a ce bleu, qui va revenir, cette ville, ces amis que tu vas retrouver.
On avance dans des cités brillantes, trop parfois, des villes qui abreuvent plus
que la soif. Des villes qui assomment à force d’images, de marchandises.
Mais cette route bleu-nuit que tu recommençais chaque soir ne vendait
rien. Elle conduisait des pèlerins inconnus dans ses ondulations.
Ils avancent et reviennent et cette méditation silencieuse invente un déjà
vu, reconnait ce déjà vu toujours ressenti quand la perception s’est
approfondie, quand on a perdu son chemin un moment, puis retrouvé le signe d’un
oiseau. Retrouvé le regard posé sur un feuillage, un ciel, un itinéraire.
L’illusion nous invente, parfois se perd elle-même quand la lucidité se
laisse piétiner, mais à la fois, je parle de l’illusion quotidienne, à la
mesure de notre chemin quotidien, elle donne matière vivante à la vie, avec
ses désirs et ses peurs. Ces joies, ces amours inexplicables. Couleurs et
ombrages d’un ressac d’herbes de minuit. Poésie. Au-delà.
L’illusion nous raconte ce que nous sommes, nous éclaire et rassure et
souvent ne fait que doubler le voile de la réalité que la perception voyageuse
renouvelle sans cesse. Sur une route bleu-nuit. Parfois.
( à suivre selon les traverses ?)
la route bleu nuit...une réponse juste frôlée, merci de votre retour cher Carol
RépondreSupprimer